Les acteurs des marchés de capitaux n’ont pas été épargnés, leurs activités étant elles aussi victimes de la pression relative à la crise sanitaire. Evolutions réglementaires et renforcements de dispositifs et outils de gestion de crises seront donc à prévoir pour garantir la continuité de leurs activités.
A cet effet, nous avons interviewé M.Joffray Guiavarch, CEO de la banque STRATEO qui partage avec nous les enseignements à tirer pour comprendre les défis, le niveau d’optimiste et les stratégies de réponse au sein du secteur des services financiers face aux contraintes liées au COVID-19.
Doté d’une notable expérience bancaire, Joffray Guiavarch a exercé l’entièreté de sa carrière au sein du groupe Crédit Mutuel Arkéa. Son parcours transverse lui a permis d’occuper des postes dans diverses fonctions : Finance, Ressources Humaines, Contrôle Interne, Gestion des risques pour prendre aujourd’hui les rênes de la Direction Générale de STRATEO bank.
Pouvez-vous nous présenter votre institution et vos activités?
Strateo est la succursale suisse d’Arkéa Direct Bank qui est elle-même est l’entité qui regroupe les activités de banque en ligne du Groupe Crédit Mutuel Arkéa. C’est un pure player du courtage et de l’investissement en ligne.
Notre métier, c’est de mettre à disposition des clients, particuliers mais également professionnels, une plate-forme de trading sur laquelle ils sont en mesure de passer directement leurs ordres de bourse, ainsi qu’un accès à une gamme très étendue d’instruments financiers cotés sur une vingtaine de marchés mondiaux.
Nous proposons également des solutions d’épargne sous la forme de plans d’investissement à échéance moyen/long terme. Nos clients sont en général des clients avertis, qui font leurs choix d’investissement en toute autonomie. Strateo ne donne pas de conseil. Nous mettons juste à disposition des clients des outils, des « tuyaux » pour faire transiter leurs ordres, et de l’information financière pour les aider à faire leurs choix. Les clients qui n’ont pas le temps, les compétences ou tout simplement l’envie de gérer leurs investissements seuls, peuvent recourir à des gestionnaires de fortune qui le font pour eux. Dans ce cas, Strateo assure le rôle de banque dépositaire pour le compte de ces gestionnaires.
En tant qu’acteur majeur du secteur du trading et investissement en ligne, quels constats faites-vous du climat économique actuel ?
Ce qui prédomine aujourd’hui c’est l’incertitude. Incertitude sur la date de sortie de la crise sanitaire, même si les premières vaccinations laissent entrevoir le bout du tunnel en 2021, et incertitude sur les répercussions de la crise économique dont nous commençons à peine à percevoir les effets. Les Etats ont tous soutenu et continuent de soutenir leur économie à bout de bras, retardant le moment où il faudra payer « l’addition ». Il est assez évident que les répercussions de cette crise sanitaire finiront par affecter une partie du tissu économique des pays fortement touchés par le Covid, avec des faillites à attendre et les plans sociaux qui vont de pair. La question qui se pose est l’ampleur de la crise économique qui s’annonce. Pour nous européens qui sommes très touchés par la pandémie, nous risquons de mettre plusieurs années à nous en remettre. Il faudra peut-être attendre dix ans ou plus pour que certains secteurs retrouvent un niveau d’activité comparable à celui de 2019. Cette pandémie va aussi avoir pour conséquence d’accélérer les fractures : fracture entre les entreprises qui auront su prendre le virage du numérique et les autres ; fracture entre les pays de l’ancien monde et ceux du nouveau monde (l’Asie principalement) qui ont globalement bien mieux géré la crise que nous autres européens, et que les américains ; enfin, fracture entre ceux qui travaillent dans les secteurs d’avenir et ceux qui travaillent dans des secteurs en perte de vitesse ou appelés à disparaître.
Quels impacts avez-vous pu constater sur votre activité depuis le début de la crise sanitaire liée au COVID 19 ?
Nous, courtiers de bourse en ligne, sommes parmi les rares acteurs du monde de la banque et de la finance à avoir profité de la situation exceptionnelle que nous connaissons depuis mars 2020. Les secousses qu’ont connus les marchés financiers au début d’année quand les acteurs économiques ont pris conscience des conséquences qu’aurait la pandémie de Covid-19 sur l’économie mondiale, ainsi que les mesures de confinement prises par plusieurs états dans le monde, ont généré un engouement que nous n’avions pas connu depuis les années 2000. Les particuliers se sont de nouveau intéressés à la bourse et se sont naturellement tournés vers des acteurs leur permettant de faire du trading en ligne à des prix intéressants. Ce constat est valable dans toute l’Europe et au-delà. Au final, nous allons réaliser une année exceptionnelle, tant en termes de nouveaux clients que de volumes d’activité. Au-delà de cette année atypique, il demeure une incertitude sur le fait que ce mouvement perdure. La richesse des ménages va être affectée par la crise économique et partant de là, leur capacité à épargner.
Les particuliers se sont de nouveau intéressés à la bourse et se sont naturellement tournés vers des acteurs leur permettant de faire du trading en ligne à des prix intéressants.
Comment ont évolué vos rapports avec le régulateur (FINMA,ESMA) dans ce contexte de crise sanitaire ?
Compte-tenu des mesures de confinement décidées ou recommandées par les états et de notre objectif de protéger au maximum nos collaborateurs, nous avons déployé le télétravail dès la fin mars. A titre préventif nous avons activé notre plan de continuité d’activités en priorisant les activités essentielles. Nous en avons tenu informé la FINMA, le régulateur Suisse. Au final, au bout de deux jours, nous étions opérationnels et en capacité d’assurer l’intégralité de nos prestations, ce qui fait qu’il n’y a pas eu d’impact pour nos clients.
Contrairement à certains de ses concurrents, Strateo n’a pas d’activité de crédit. Ainsi nous n’avons pas eu à gérer la distribution des prêts garantis par l’état, ni à passer de provisions préventives au titre du risque de défaut. Les entités qui proposent du crédit ont été et sont toujours en contact rapproché avec leurs autorités de tutelle.
Quelles modalités avez-vous eu à mettre en œuvre pour assurer la continuité de votre activité dans ce contexte ?
Comme je l’ai indiqué, à l’instar de la très grande majorité des entreprises, nous avons dû déployer le télétravail à grande échelle. Outre les aspects purement techniques à régler (commande de matériel, mise en place de VPN, gestion du traffic réseau …), les aspects de sécurité, il a fallu revoir l’organisation de certains process, les méthodes et les outils de management et assurer l’accompagnement des collaborateurs afin de minimiser le stress lié à cette situation exceptionnelle. Tout ça en un temps record. Au final, tous ces efforts ne seront pas vains. En effet, le monde d’après Covid ne sera jamais plus le même que celui d’avant. La plupart des entreprises ont vu que finalement le télétravail, même s’il ne constitue pas l’alpha et l’omega de l’organisation du travail, est un mode qui présente bien des atouts pour peu qu’il soit bien encadré et que les outils soient adaptés aux nouveaux besoins des collaborateurs. Le télétravail va perdurer au-delà du Covid, à temps partiel dans la majorité des entreprises car nous avons aussi constaté les effets de la perte du lien social pour une grande partie des gens.
Le télétravail va perdurer au-delà du Covid, à temps partiel dans la majorité des entreprises car nous avons aussi constaté les effets de la perte du lien social pour une grande partie des gens.
Nous vivons un nouveau confinement, induisant un nouveau stress de l’ensemble du secteur économique ; quels sont les enseignements tirés du premier confinement (par les pouvoir public, les entreprises et les acteurs bancaires) qui permettrait une meilleure gestion de ce second épisode ?
Je ne me sens pas vraiment légitime à donner des conseils sur la meilleure manière de gérer un confinement. Chacun a fait comme il a pu, les états comme les acteurs économiques. La situation est nouvelle et terriblement complexe. Tout le monde apprend en marchant et tire des enseignements de ce qui a bien ou mal fonctionné. Pour faire face à la deuxième vague de la pandémie, les états ont dû décider de mesures qui préservaient à la fois la santé des concitoyens sans mettre l’économie totalement à l’arrêt. C’est la grande différence avec le premier épisode durant lequel une grande partie des secteurs économiques avait été stoppée. Dans toute chose il faut trouver le juste milieu et je pense qu’objectivement, la situation est assez bien gérée car, sauf pour quelques secteurs malheureusement sacrifiés, elle laisse entrevoir la possibilité d’un redémarrage rapide.
Quels sont, selon vous, les perspectives pour les entreprises et les particuliers ?
Comme je l’ai indiqué, les états ont mis les moyens pour garantir autant que faire se peut un redémarrage rapide une fois que la pandémie aura été contrôlée. Les mécanismes de solidarité mis en place permettent également de limiter l’impact financier de cette crise pour les ménages. Mais il est évident qu’il faudra du temps pour revenir un jour à la situation d’avant.
Comment (et dans quelles limites) les banques peuvent-elles accompagner les entreprises dans ce contexte ?
Les banques ont un rôle fondamental à jouer à plusieurs titres : jouer le rôle de courroie de transmission pour irriguer les entreprises avec les mécanismes de soutien à l’économie (prêts garantis, renégociation des échéances, …), continuer d’accompagner la croissance des entreprises en leur mettant à disposition les ressources dont elles ont besoin ou en entrant au capital (capital investissement) mais également accompagner les entreprises vers la digitalisation de leurs activités. Les banques sont avant tout des sociétés technologiques et il n’y a pas de raison qu’elles ne puissent pas mettre les compétences acquises dans ce domaine à la disposition de leurs entreprises clientes. Il existe néanmoins des limites. En réponse aux précédentes crises financières, les régulateurs bancaires ont imposé des garde-fous aux banques afin de limiter la prise de risques. C’était nécessaire mais on est en train de s’apercevoir qu’un excès de prudence tue la prise de risques. Or, il ne faut pas oublier que la prise de risques c’est l’essence même du métier de banquier. Certains régulateurs ont heureusement commencé à relâcher la pression.
Les banques sont avant tout des sociétés technologiques
En conclusion, je dirai que l’enseignement majeur que je tire de cette situation extraordinaire que nous sommes en train de vivre, c’est que ce qui peut paraître impossible aux yeux d’une bonne partie des structures internes de l’entreprise, ne l’est pas toujours et qu’il faut toujours faire confiance aux femmes et aux hommes pour s’avoir adapter et trouver des solutions face à des problèmes nouveaux. Quand nous nous retournerons sur cette crise dans quelques années, je pense que le sentiment qui prédominera est que nous nous en sommes plutôt bien tirés, même si dans le moment présent, nous avons tendance à ne voir que les aspects négatifs.
"La vue des pros"
Une série d’interview proposée par Temeritati Consulting
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